Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous?
Je suis un directeur de création français de 56 ans. Mon travail consiste à trouver des concepts créatifs et à peaufiner le Design Graphique de mes clients. J’ai étudié aux Beaux-Arts de Nancy dans les années 80. J’ai occupé plusieurs postes de directeur artistique dans diverses agences ces 30 dernières années. Je suis revenu à la photographie pour retrouver plus d‘espace de liberté créative.
Comment vous êtes-vous intéressé à la photographie?
La photographie faisait partie de mon apprentissage mais j’étais à l’époque beaucoup plus tourné vers le graphisme et l’illustration. Je suis revenu à la photographie il y a 10 ans. A force de retoucher les images d’autres photos pendantes pendant plusieurs années, je suis dit «il est temps».
Qu'est-ce qui vous inspire dans votre recherche ?
Je m’attache à photographier plusieurs types de lieux abandonnés par l’homme. Cela va des friches industrielles, au patrimoine religieux en passant par les bâtiments publics, les châteaux et villas… etc. C'est au fil de mes explorations que j'ai commencé à regrouper mes prises de vues en différentes séries photographiques.
C'est absolument fascinant de pénétrer dans un lieu où les occupants ont laissé leur empreinte derrière eux : leurs objets personnels, leurs meubles, la trace de leurs habitudes… parfois une vie. En poussant la porte d'une de ces capsules temporelles on ne peut pas s’empêcher de se poser des questions et de renvoyer ce spectacle à ce que sera notre propre sphère de vie quand nous aurons disparu.
Quelle a été la partie la plus difficile de ce projet?
Ce type de travail comprend plusieurs parties qui ont chacune leurs difficultés. Tout ce qui est abordé dans la recherche… des dizaines d’heures de recherches et de persévérance sur Internet pour arriver à ce lieu des lieux d’intérêts. Ensuite vient le temps de la préparation de la visite. Évaluer la dangerosité du lieu, la difficulté à y accéder et à s’y déplacer sans danger. Composer avec la lumière du moment et des lieux souvent sombres. Je travaille toujours en lumière naturelle et je fais avec la position du soleil au moment de ma visite. Si la lumière est vraiment orientée, il est possible que je revienne une autre fois, à un autre moment de la journée pour bénéficier de la lumière plus favorable à mon projet. Pas toujours facile à gérer lorsque les lieux sont situés à l’étranger, à plusieurs centaines de kilomètres.
Comment définiriez-vous votre photographie de style général?
J’essaie de rester le plus proche possible de la réalité. De retranscire le plus fidèlement possible les sentiments, les émotions que j’ai eues lors de la visite. En ce sens je dirais : impressionniste… mais réaliste.
Pouvez-vous nous parler de votre technique et de votre processus de création?
Que dire. Je travaille toujours en lumière naturelle. Cela impose l’utilisation d’un trépied et de poses parfois très longues, jusqu’à plusieurs minutes si il fait très sombre. Quand j'arrive dans un lieu, il y a bien sûr quelques vues très évidentes à faire qui se répètent. Ensuite, je fonctionne beaucoup à l’instinct et au ressenti. Je me déplace en fonction de la lumière ambiante. Je ne touche pas aux objets qui sont présents dans une pièce. Sauf si, exceptionnellement, l’endroit a été vandalisé. J’essaie alors de retrouver la place des meubles tels qu’ils étaient. Concernant le traitement des images, il est en perpétuelle évolution. Quand je regarde les images que j’ai traitées il y a 3 mois, je me dis, mon dieu… je ne travaille plus comme cela maintenant. Je dois dire qu’avec le temps j’interviens de moins en moins sur les réglages. Le plus gros du travail consiste à effacer des graffitis ou à faire disparaître une boîte de soda jetée sur le sol. Photoshop, je suis tombé dedans dès la version 1.0 dans les années 80. Dans mon métier, je travaille sur ordinateur toute la journée depuis l’apparition des premiers Macintosh. J’ai cet avantage de maîtriser le flux de travail des images numériques depuis longtemps. J’utilise Lightroom pour cataloguer et traiter mes photos et faire quelques allers-retours avec photoshop quand c’est nécessaire.
A votre avis, qu’est ce qui fait une bonne photo d’un endroit abandonné?
Une bonne photo, c’est d’abord une bonne lumière. Arriver au bon moment. Se placer correctement. Saisir la particularité du lieu dans son architecture ou son organisation. Restituer du mieux possible l’atmosphère de l’abandon grâce aux matières. Savoir repérer et capter les traces qui permettent de rendre compte de l’état d’abandon et la trace du temps qui a passé sur ce lieu, à la façon des rides sur un visage.
Combien de temps passez vous à preparer une photo?
C’est variable. Je peux passer 30 minutes à caler mon tripod, choisir le meilleur angle, changer mes réglages… Je peux aussi shooter très vite en quelques secondes. Cela dépend de ma fraîcheur mentale et de ce que m’inspire un lieu.
.Qu’est-ce qui d’aprés vous fait un projet memorable ?
Un projet mémorable est un projet dont on se souvient par définition. Un projet qui amène le « regardeur » à se poser des questions et à puiser en lui ses propres réponses. Qui suscite une émotion, que ce soit dans l’attirance ou le rejet.
Quand savez-vous que vous avez la bonne photo?
Je sais que j’ai le shoot que je voulais au moment où je regarde mes photos sur mon ordinateur, à la maison. Bien sûr au moment de faire ce shoot je mets toutes les chances de mon côté pour ne pas rater ma prise de vue. Il faut aussi savoir prendre des risques et faire des experiences hasardeuses. Je garde en tête l’image de ce que j’ai vu et senti. J’ai eu parfois de très bonnes surprises mais aussi quelques déceptions sur des vues dans lesquelles j’avais placé beaucoup d’espoir et qui se sont avérées sans intérêt.
Votre idée de la composition parfaite?
Il n’y a pas “une” composition parfaite. Tout est fonction de l’instant, du lieu, de la lumière… Il y a plusieurs possibilités à chaque fois. Mais si je dois absolument donner une définition, la composition parfaite est celle qui va permettre le plus facilement possible au « regardeur » d’entrer et de voyager dans l’image.
Que peut-on trouver dans votre sac photo?
Beaucoup trop de choses. Je me rappelle le poids de mon sac sur mes épaules quand je passe 14h debout à faire des photos, marcher, courir, grimper, ramper, escalader… mon sac est toujours trop lourd. On y trouve bien sur un boitier 24x36 full frame Nikon D750, un objectif Nikon 14-24 f2.8, un objectif Nikon 24x-70 f2.8, et un IRIX 11mm f4. Parfois un 50mm f1.4, des chargeurs, des batteries, des câbles, des lampes de poche, des barres de céréales et une bouteille d’eau… du papier toilettes et un tas d’autres choses que je garde pour moi.
Quels sont vos projets? Qu’aimeriez vous accomplir?
Mes futurs plans je les garde pour moi. Nous sommes dans un monde et à une période ou la photo d’exploration urbaine est très, “trop”, à la mode. Avec le succès des réseaux sociaux les images circulent très vite. On voit souvent défiler des répliques à l’infinie de certaines images que l’on a faites il y a quelques mois ou quelques années. Alors plus on est discret sur ses projets, mieux c’est. Ce qui est sûr c’est que je vais continuer à explorer des lieux abandonnés de par le monde. Moins et mieux en fonction de ma disponibilité de mes moyens et de mes envies. Faire d’autres livres, préparer d’autres expositions et surtout chercher à toucher un public non averti. C’est ce public qui m’intéresse. La majorité de la communauté de ce qu’on appelle “l’exploration urbaine” est occupée, la plupart du temps, à se mesurer qui à la plus grande… J’ai passé l’âge de ce genre de concours. Je veux toucher les gens ordinaires, les faire réfléchir sur le contenu iconographique, le message d’une image. Dans ce cas précis, la performance sportive ou transgressive m’importe vraiment peu.